Qui pourrait imaginer qu’à quelques mètres de profondeur, devant les rues bondées de Genève, les restes de plusieurs villages néolithiques et de l’âge du bronze reposent intacts depuis près de 5000 ans pour les plus anciens ? Ces villages « palafittiques » ont été érigés par les premiers cultivateurs de l’Europe Centrale. Les sédiments des eaux des lacs alpins ont rapidement recouverts les villages après leur abandon. Les vestiges ont ainsi été protégés de l’air et des organismes qui auraient pu les dégrader ou les faire disparaître. Aujourd’hui, du bois, des tissus, de la nourriture, des outils en pierre ou en bronze sont encore remarquablement conservés dans ces véritables capsules temporelles que sont nos lacs.
Aucun autre endroit de la planète n’offre une vision aussi explicite de l’évolution des communautés villageoises du Néolithique et de l’Âge du Bronze. Les vestiges de ces habitats sont notre principale source de renseignement sur les sociétés agraires de la Préhistoire en Europe.
Des villages palafittiques de nos lointains ancêtres ont été répertoriés par des experts dans les lacs de l’ensemble des pays bordant la chaîne des Alpes, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Slovénie, en Italie ainsi qu’en France. Les 111 villages les plus importants et les mieux préservés encore aujourd’hui ont été classés par l’UNESCO au Patrimoine Mondial en 2011, comme un objet unique à protéger à tout prix. Ce classement implique qu’il revient à chacun des six pays de mettre en place des outils précis pour mesurer dans le temps l’évolution de la couche de protection qui repose sur chacun de ces villages. Sur la base de ces informations, les archéologues doivent prendre toutes les mesures nécessaires de protection, sans les fouiller, pour les futures générations.
C’est dans ce cadre que le département cantonal d’archéologie du canton de Genève a fait appel à la Fondation Octopus en 2021. Avec son expertise technique marine et lacustre, l’équipe d’Octopus va accompagner les archéologues pour faire d’abord un état des lieux complet des six villages lacustres genevois (dont trois sont classés à l’UNESCO), suivi d’une documentation sur la situation actuelle de chacun des sites pour finalement mettre en place les outils de mesures nécessaires pour pouvoir surveiller dans les années à venir l’évolution de la couche sédimentaire.
Après les fouilles en 2019 et 2020 des trois épaves découvertes dans le lac de Neuchâtel, l’équipe de la Fondation s’apprête à replonger dans les eaux des lacs suisses. En juillet 2021, l’archéologue cantonal du canton de Genève, Nathan Badoud, a fait appel à la Fondation Octopus pour documenter un état des lieux précis des différents sites, et installer les outils permettant un monitoring sur le moyen et le long terme. L’objectif est d’enregistrer des données qui permettront de savoir si la couche de sédimentation protégeant les villages est stabilisée ou si celle-ci s’amenuise au point qu’il faudrait déployer dans l’eau des protections supplémentaires, ceci afin de conserver l’intégrité des vestiges archéologiques.
Pour se faire, l’équipe de la Fondation Octopus va réunir et mettre à disposition des archéologues son équipe opérationnelle ainsi que l’ensemble de ses moyens de navigation, de plongée, d’imageries aérienne et sous-marine pour mener une première mission de terrain au printemps 2022. Le éléments enregistrés lors de cette campagne devraient permettre de poser les bases de surveillance des sites lacustres genevois qui sera mené dans les années à venir.
Pour cette mission de terrain, l’équipe de la Fondation Octopus va réunir un certain nombre de ses outils marins pour les mettre au service du service archéologique genevois :
Drones aériens
L’utilisation de drones aériens est particulièrement utile à la détection d’objets sous-marins quand ils se trouvent à faible profondeur et dans une eau claire
En volant à plusieurs dizaines de mètres au dessus de la surface, le pilote est capable de visualiser en direct et cartographier certaines zones en jouant sur la transparence de l’eau. Le drone peut ainsi scanner certaines zones qui devront être ensuite étudiées par les archéologues en plongée.
Pour ce projet, l’utilisation de plusieurs drones avec des optiques différentes va aider les archéologues à récolter de précieuses données sur ces villages lacustres.
Drone sous-marin
L’utilisation du Trident d’OpenRov nous sert à :
– prévisualiser une zone avant d’y envoyer une équipe de plongeurs
– permettre aux archéologues non-plongeurs de suivre les plongeurs, et d’étudier certains objets d’intérêt
– capturer des images en profondeur, dans des zones difficilement accessibles aux plongeurs
Modélisation 3D
Une fois l’acquisition photographique sous-marine effectuée, l’équipe de la Fondation Octopus procède au traitement informatique des données pour obtenir une zone modélisée en 3D comme celle-ci dessous.
En cliquant sur le sigle au centre de la fenêtre, une fois le modèle chargé, vous pouvez faire tourner la zone en cliquant au centre et en déplaçant le curseur. Vous pouvez aussi zoomer et déplacer le modèle dans l’espace en maintenant la touche majuscule enfoncée.
De façon simple et gratuite, la Fondation Octopus montre ainsi qu’il est possible d’immerger des gens sans aucune notion de plongée dans les profondeurs et de leur permettre de déambuler dans le fond de l’eau comme d’étudier des pièces archéologiques très détaillées sans risquer des les endommager.
Photogrammétries
La photogrammétrie est un plan très haute définition, projection verticale du modèle 3D. Ce plan est un outil indispensable pour planifier des plongées avec intervention sur un site ou de potentielles fouilles dans le fond de l’eau.
Que ce soit pour le public ou les passionnés de plongée, ces modèles numériques sont des outils de visualisation efficaces. Mais sont-ils aussi utiles pour les scientifiques ? Rappelons que l’un des objectifs de la Fondation Octopus est d’abord de soutenir la recherche et l’exploration scientifique des océans.
Du modèle 3D numérique, élément simple de visualisation, le programme informatique permet d’extraire un outil qui, lui, est scientifique : l’orthophotoplan. Par une projection verticale de l’ensemble du relief sur un plan horizontal, cette carte d’une précision centimétrique respecte toutes les dimensions au sol. Alors que le temps de plongée est limité par l’air contenu dans une bouteille, il devient maintenant possible de « sortir » la zone de travail du fond de l’eau pour pourvoir l’étudier attentivement à terre.
La mission de mars 2022 a permis de réunir l’ensemble des données permettant d’envisager un monitoring constant dans les années à venir pour six villages lacustres des eaux genevoises.
Les données récoltées sont en cours d’analyses par les archéologues.