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Nous savions que cette année 2020 ne ressemblerait à aucune autre. Mais nous ne pensions pas que cette mission pour perfectionner notre système open source de monitoring du phoque moine de Méditerranée se révèlerait aussi riche et intense en émotions.

Elle a commencé avec la crise de la Covid-19 qui a repoussé de facto une mission de terrain prévue initialement fin mai à début juillet. Nous sommes partis alors que la frontière de la Grèce avec ses pays voisins était à peine ouverte.

 

Quelques heures après l'installation de notre caméra sous-marine, des phoques nous montraient qu'ils dormaient dans l'eau et qu'ils restaient plusieurs heures dans une grotte sans plage © Fondation Octopus

 

Deux mois plus tôt, la période du confinement nous avait permis toutefois de prendre un peu de recul pour nous poser certaines (bonnes) questions. Comme celle de notre mode de transport. Était-ce bien raisonnable de continuer d’utiliser les avions comme des bus pour partir explorer et comprendre les océans pour mieux les protéger alors qu’ils subissent de plein fouet le réchauffement climatique ?

Du ciel au bitume

Nous avons donc décidé d’acquérir un minibus d’occasion pour transporter l’équipe et le matériel de terrain de la Fondation Octopus, tout en utilisant l’important réseau de ferries qui sillonnent la Méditerranée.

Arrivés en Grèce, après plusieurs centaines de kilomètres d’autoroutes et un ferry, au terme de deux jours de voyage, nous pensions avoir fait le plus gros. C’était sans compter le deuxième bateau à prendre pour rejoindre notre destination finale, l’île de Céphalonie. « Le ferry est complet, car la Covid-19 nous limite à 60% de notre capacité… », a annoncé abruptement l’employé de la compagnie alors que nous allions acheter nos billets. Nous avons regardé un peu sonné le bateau refermer ses portes et larguer les amarres.

Plusieurs centaines de kilomètres, trois jours de voyage, deux ferries, deux roues crevées, 6 membres de l'équipe soulagés d'arriver enfin à Fiskardo © Fondation OctopusQu’à cela ne tienne, nous avions 5 heures pour parcourir 60 kilomètres et prendre un autre ferry. Une gageure. Sauf que… deux crevaisons plus tard, nous nous retrouvions à quelques 100 mètres du quai du 2e ferry sur trois roues ! Notre voyage commençait à ressembler à une Odyssée moderne. Ithaque n’était finalement qu’à quelques kilomètres de nous !

Comme un clin d’oeil du destin, c’est un touriste Allemand qui partait en famille avec son minibus sur l’île d’Ithaque qui nous a finalement prêté sa roue de secours… 20 minutes avant le départ du ferry.

La mission ne fait que commencer

Arrivés finalement au terme de 3 jours de voyage à Fiskardo sur l’île de Céphalonie, nous allions enfin pouvoir commencer notre travail sur le phoque moine.

Pour cette mission, nous avons décidé de rajouter à l'un de nos kits une troisième caméra, qui cette fois va tenter de monitorer dans l'eau la présence et l'activité des phoques moines © Fondation OctopusLe programme était simple. Nous devions mettre à jour les trois systèmes en place, c’est-à-dire remplacer les modules qui avaient été endommagés durant l’hiver par les tempêtes (caméras, routeur 3G/4G, micro-ordinateur, câbles Ethernet…), mettre à jour le software que nous avions amélioré pendant l’hiver, équiper une 4e et dernière grotte test avec un nouveau kit complet, et déplacer certaines caméras pour pouvoir mieux identifier les phoques moines.

Cette mission avait aussi pour but de tester deux nouveaux modules expérimentaux : une caméra placée dans un caisson étanche pour tenter de suivre les phoques directement dans l’eau, et un outil d’enregistrement sonore dans une des grottes pour tenter de mettre en relation les potentiels cris ou vocalises des phoques avec les photos que nous enregistrons et recevons tous les quarts d’heure.

En 2020, de belles images ont été tournées pour le documentaire de 52min en préparation © Fondation OctopusFinalement, cette troisième mission devait nous permettre de réaliser un complément de tournage pour le documentaire de 52 minutes en préparation depuis 2018 pour faire découvrir cette espèce méconnue du grand public.

Quatre grottes monitorées

Après 12 jours de travail, sur 4 grottes différentes réparties sur 3 îles, en mêlant plongée, spéléologie sous-marine, varappe, navigation et travaux sous un soleil de plomb et des températures extrêmes, l’équipe de la Fondation Octopus est fière de vous présenter les premiers résultats techniques de cette mission 2020.

Les quatre sites sont désormais opérationnels techniquement. Pour chacun d’entre eux, nous recevons à distance toutes les 15 minutes une paire d’images qui permettent d’observer en simultané la situation à l’extérieur et à l’intérieur de chaque grotte.

Les deux images montrent l'intérieur de la même grotte (à gauche en 2019 et à droite en 2020. Après une saison en plan large, nous avons compris où les phoques s'installaient systématiquement sur la plage. En déplaçant la caméra nous espérons pouvoir mieux identifier les animaux, ici le même mâle de plus de 200 kilos © Fondation Octopus Pour cette grotte, très difficile d'accès, la caméra nous a permis en 2019 d'identifier une dizaine d'animaux. Mais suite à une tempête hivernale, la caméra a été noyée. Nous avons décidé cette année de placer la caméra au dessus du groupe de rochers où se reposent les phoques © Fondation Octopus

Moins de 48 heures après avoir effectué nos travaux de maintenance et d’installation, les phoques moines étaient de retour dans trois des quatre grottes. Pour la caméra sous-marine, les phoques sont apparus quelques heures seulement après l’installation. Ce module test s’annonce très prometteur puisqu’il a été installé dans une grotte sans plage (avec juste une poche d’air dans laquelle les animaux reprennent leur respiration) dans laquelle nous avons déjà pu observer des phoques dormir complètement immergés dans l’eau. Reste maintenant à savoir combien de temps ces outils vont résister à cet environnement rude pour collecter de précieuses informations pour les biologistes marins.

Rien n’est jamais acquis. Jamais.

Le caisson sous-marin a été installé à l'entrée d'une petite grotte qui ne possède qu'une poche d'air, sans plage, et qui semble être très utilisée par les phoques la journée © Fondation OctopusEn cette fin de mission, je souhaite remercier l’équipe exceptionnelle avec laquelle j’ai l’immense privilège de travailler. Sa capacité à s’adapter et à trouver des solutions face à des problèmes très souvent complexes et parfois dangereux est remarquable. L’équipe d’Octopus n’a jamais aussi bien porté son nom.

Je souhaite aussi remercier les équipes locales avec qui nous collaborons étroitement depuis le début de ce projet, que ce soit Kosamare, le Ionian Dolphin Project, Fiskardo-Divers, Odyssey Outdoor activities, les locaux de Fiskardo (Richard, Tullios, l’équipe du Palazzo, Vasso’s pour ne citer que quelques uns)  pour leur aide précieuse et leur gentillesse, ainsi que les équipes partenaires en Suisse et en France, l’UICN, Octanis, Faktoria, et le Seaquarium du Grau-du-roi.

Merci aussi à l’ensemble de nos mécènes, dont le fond SmileWave, sans qui ce projet n’existerait pas.

Installation du 4e kit test autour d'une nouvelle grotte en mer Ionienne © Fondation Octopus

Technologie open-source

Je tiens finalement à rappeler que ce système de monitoring open source, autonome et connecté pour mieux comprendre les phoques moines est développé et testé par l’équipe de la Fondation Octopus (sur une idée originale d’Emanuele Coppola), pour bénéficier au plus grand nombre de biologistes marins qui étudient cette espèce menacée de Méditerranée.

Avec un coût volontairement limité à 1600 Euros l’unité, nous espérons qu’il puissent être amélioré par la communauté, assemblé et installé en nombre suffisant par les biologistes pour permettre dans les années à venir d’évaluer plus précisément la répartition géographique et le nombre de phoques moines présents sur l’ensemble du bassin méditerranéen.

Julien Pfyffer
Président fondateur de la Fondation Octopus