Après deux semaines de plongées dans les eaux froides du lac de Neuchâtel, l’équipe de la Fondation Octopus rentre d’une mission particulièrement riche en découvertes.
Nous avons eu cette fois l’immense privilège d’étudier avec les archéologues du canton de Neuchâtel les restes d’un village datant du néolithique final (environ 2500 avant J.-C.). La bonne surprise vient du fait que le site s’est avéré relativement bien préservé, malgré une érosion bien réelle du fond du lac. À tel point, que l’équipe a pu documenter une hache vieille de 4000 ans, presque encore intacte (manche en bois et pierre polie verte), au milieu des sédiments et gros galets ayant recouvert par la suite le site.
La spectaculaire découverte a été le point culminant d’une fouille exploratoire durant laquelle deux zones échantillons de 32 m2 ont été fouillées et étudiées dans le détail au coeur du site. Cette mission a été menée sous la direction scientifique de Fabien Langenegger et rendue possible grâce à la collaboration des services archéologiques de Neuchâtel et de Fribourg, avec le soutien technique et opérationnel de la Fondation Octopus.
Fabien Langenegger, archéologue et dendrochronologue de l’Office du Patrimoine et de l’Archéologie du canton de Neuchâtel (OPAN), est entre autre responsable de la surveillance du patrimoine immergé du lac de Neuchâtel.
Lors de vols en ballon de surveillance qu’il effectue régulièrement, ainsi que durant ses plongées de monitoring, Fabien Langenegger constate de plus en plus l’apparition dans les sédiments de restes archéologiques anciens, conséquence d’une lente érosion du fond du lac. Cette érosion risque à terme de détériorer, voire détruire certains sites archéologiques parmi lesquels plusieurs sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.
La station de Bevaix-Treytel ne fait pas partie des 111 sites palafittes d’importance majeure recensés autour des Alpes et inscrits à l’UNESCO en 2011 (Suisse, Allemagne, Autriche, Italie, Slovénie et France). Connu depuis le milieu du 19ème siècle, ce village lacustre a été exploré partiellement et à plusieurs reprises entre 1857 et 1921 dans la partie terrestre du site, livrant un abondant corpus d’objets archéologiques. Mais aucune recherche n’avait jamais été menée dans la partie subaquatique du site.
En mars 2023, ce sont donc deux fenêtres de 32 m2 qui ont été ouvertes au coeur de la partie immergée du site, à environ deux mètres de profondeur. Très rapidement, les plongeurs s’aperçoivent que la station de Bevaix-Treytel est exposée aux phénomènes d’érosion lacustre constatés ailleurs. Des vestiges apparaissent progressivement, malgré la présence d’une couverture naturelle de sable et de galets.
Au fil des plongées, des éléments architecturaux des maisons anciennes en bois de chêne ont été dégagés. Certaines poutres massives, formant la délimitation des bases des maisons (poutres sablières), ou même certains éléments de planchers à l’intérieur des maisons ont été découverts, mesurés et enregistrés en modèles 3D numériques. A l’intérieur et autour des maisons, des outils en silex comme des pointes de flèches ou des lames de couteaux sont apparues. Finalement, d’importantes quantités d’ossements d’animaux ont aussi été délicatement étudiés dans l’enceinte des maisons. A proximité d’une des maisons, la découverte au sommet de la couche archéologique d’une hache entière (manche en bois et lame en pierre polie) témoigne malgré tout de la bonne préservation du site de Treytel, du moins dans les zones explorées lors de cette campagne.
Contrairement à des fouilles traditionnelles, l’une des spécificités de cette mission a été la volonté de conserver les vestiges in situ, pour augmenter leurs chances de conservation. Une fois que les vestiges ont été dégagés, étudiés et modélisés en 3D à leur emplacement d’origine dans l’eau, les archéologues et l’équipe de la Fondation Octopus les ont à nouveau recouverts d’une couche protectrice de milliers de galets. Un travail de longue haleine, nécessaire pour assurer une conservation à long terme, puisque tous les matériaux composés de matières organiques comme le bois se dégradent extrêmement vite dès lors qu’ils sont exposés à l’air. Tant que les objets sont enfouis dans les sédiments, l’eau douce des lacs agit comme le meilleur des conservateurs.
Cette nouvelle technique de fouille sous-marine non-destructrice (les plongeurs révèlent, documentent puis recouvrent) est actuellement à l’étude afin de démontrer sa pertinence future. En cas de succès, il serait peut-être possible de l’envisager ponctuellement pour certains sites classés à l’UNESCO qui seraient en péril.